Cela va faire maintenant 9 mois que mon cher Marius et moi sommes partis de Belgique où nous étudions ensemble l'Architecture, pour venir vivre ici le temps d'une année à Turin. Par cette première série de billets, j'aimerais aider certains étudiants indécis ou sur le point de partir à faire leur choix en leurs décrivant mon expérience ici. Je commencerai par l'école où je suis encore actuellement, puis continuerai sur la vie de tous les jours et finirai sur les réflexions qui découlent de cette expérience.
LA VILLE
Commençons par le commencement, Turin. Située dans la région du Piémont dans le nord de l’Italie, Turin puise de nombreuse qualités dans sa localisation. Voisine de la France, très proche de la montagne et de la mer, les week-ends en dehors de la ville, au ski et à la plage seront bien remplis car oui, à Turin, les habitants travaillent beaucoup. La réputation de cette ville disant qu’elle est riche et sérieuse n’est pas usurpée, et malheureusement il faudra aller vers Milan pour des samedis soirs enflammés. On y travaille beaucoup, mais on ne s’ennuie pas ! La ville regorge de biens culturels exceptionnels dus en partie à sa position de capitale du Royaume Italien en 1861, toute une histoire très intéressante que bien d’autres personnes vous présenteront bien mieux que moi.

Le centre historique avec ses palais, ses cafés et ses musées est un trésor qui se dévoile que lorsqu’on a l’audace de s’y perdre et d’ouvrir ses portes. Cerise sur le gâteau, on ne fait jamais la queue pour entrer dans ces beaux lieux, les touristes étant quasiment inexistants. Turin est bel est bien une ville authentique où on se sent bien, et réellement en Italie.
L'ECOLE
Politecnico di Torino, Facolta di Architettura, Dipartamento Restauro e Valorizzazione.
Voilà ce qui m'a décidé à choisir cette destination peu connue, une école où il y a la possibilité d'intégrer un master spécifique pour y apprendre les techniques de restauration du patrimoine architectural. Les locaux se trouvant dans le formidable Castello del Valentino (Château du Valentino) à deux pas du centre de Turin , j'ai définitivement craqué pour ce lieu historique du XVII ème siècle qui est envié par beaucoup.

Attention néanmoins, seul les cours de Bachelier (Licence) et Master en Restauration y sont dispensés, les autres se situent sur le campus du Lingotto, la fameuse et historique usine Fiat des années 20 où les voitures étaient testées sur le toit, où se trouve un circuit...
À noter que les Italiens ont beaucoup de mal à intégrer cette école qui est très réputée, beaucoup passent par une licence dans une autre école pour intégrer le master ici par la suite. Polito (Politecnico di Torino) détient 33 000 étudiants sur les 100 000 de la ville, une majorité d’entre eux y étudient l’ingénierie au campus central qui est une véritable ville dans la ville. La section ingénierie qui selon moi influence beaucoup la manière d’enseigner l’architecture dont je parlerai par la suite.

Selon moi, le prestige de ces lieux donne des ailes et un cadre de travail exceptionnel, peut-être même trop. En effet, les étudiants ne prennent que peu, ou même pas du tout l'initiative d'habiter les lieux, tout est resté comme neuf et rien ne bouge. Les salles sont équipées d'écrans géants, de micros d'une grande qualité, des tables avec presque suffisamment de prises pour tout le monde (hors heures de pointe) mais personne ne s'approprie l'espace et les étudiants ne restent en salle que le temps du cours. Tout cela, mélangé à deux superbes bibliothèques dédiées à l'architecture, un bar/café/cantine où nous mangeons très bien pour très peu donne un cadre très studieux et très sérieux où les étudiants évoluent à leur manière, qui est pour le moins différente de ce que j'ai connu en Belgique.
L'ENSEIGNEMENT
Etudiants en Architecture, si vous avez pour habitude de travailler à la main, de manière légèrement artistique, en laissant quelques imprécisions pour pouvoir broder de la poésie à l'angle de rencontre d'un mur et d'une fenêtre, vous aurez comme moi à vous habituer à la rigueur et l'austérité des planches techniques de nos collègues italiens. Mais ne vous en faites pas, avec un peu de courage, les professeurs (certains) accueilleront votre savoir-faire manuel et votre créativité exotique avec bienveillance et intérêt. Cependant, oubliez croquis et maquette, et si vous souhaitez intégrer les Ateliers de Master en Restauration, vous aurez obligatoirement à apprendre l'italien rapidement. Et aussi, attention au choix du ou des coéquipiers pour votre semestre, car non, pas de rendus individuels au Politecnico, mais uniquement des travaux de groupes. Les Ateliers se divisent ici en différentes disciplines dispensées par différents professeurs et d'un projet où nous devons mettre en application ces dispenses. Je parle bien de dispenses car oui, durant les heures d'Atelier, nous avons des cours magistraux sur la théorie et les techniques de Restauration (pour mon cas).

Des cours plus qu'intéressants mais qui ne laissent que très peu de temps pour de réels échanges à propos du travail réalisé avec les professeurs. De plus, les présentations et corrections du travail élaboré chaque semaine se font groupes par groupes, en privé. Une habitude de travail qui m'a beaucoup dérangé au début car habitué aux corrections à haute voix, je me suis retrouvé à écouter un professeur répétant systématiquement la même chose aux dix groupes qui n'ont pas pu entendre la critique du groupe précédent. Hormis cette méthode étrange, bien de beaux aspects sont à souligner. Les sujets de travaux sont je trouve, d'une très grande qualité. Au premier semestre, nous avons travaillé sur la restauration du Palazzo d'Oria, dans la commune de Ciriè à stations de train de Turin. Un très joli cas de palais qui prend ses origines au moyen âge, modifié à travers les siècles puis transformé en Hôtel de Ville et qui nécessite aujourd'hui de grands soins. La faisabilité du projet final est un point très important dans l'évaluation du travail réalisé. Cela tue peut-être un peu la créativité mais a le mérite d'être formateur pour le travail de futurs architectes . En ce moment, je travaille sur le Palazzo Comunale di Casalgrasso, encore un Hôtel de Ville qui a connu de nombreuses transformations lui aussi, et qui par sa localisation à la campagne nécessite une grande réflexion sur sa refonctionnalisation et son intégration au patrimoine local. De beaux sujets donc, qui font l'objet à chaque fois de longues journées sur site, à explorer, comprendre, mesurer, relever et interpréter ces espaces chargés d'histoires.
L'AMBIANCE
Au travail, en étant étudiant Erasmus, nous sommes de suite dans un état d'esprit d'ouverture et de découverte. Sensibles à tout ce qui nous entoure et attentif à la moindre opportunité de rencontre, l'ambiance générale joue un rôle majeur dans le bien-être au sein d'une école. J'ai fais le choix d'entrer en Master en Restauration de Patrimoine, une section où les cours sont uniquement donnés en italien. Avant d'arriver, je ne connaissais pas un mot en italien mais avec beaucoup d'efforts et des mois de dure labeur, j'ai pu passer la barrière de la langue assez rapidement. Sachez qu'il est très compliqué de se faire comprendre sans ce sésame, et que les Italiens ne feront pas vraiment l'effort pour vous. Passé ce cap, il vous faudra batailler pour avoir les informations communes, c'est chacun pour sa peau. Au Politecnico di Torino, l'esprit de compétition règne et partager les travaux communs sur un groupe Facebook ne fait pas vraiment partie des bases, malheureusement.
( petite précision à donner pour les comprendre nos amis Italiens, leurs notes sont sur 30 et leur système différent du nôtre : dans leur diplôme les notes sont comptées, et même insérées dans leurs CV, ainsi, ils doivent s’approcher au maximum du 30, voire même l’obtenir pour espérer trouver du travail à la suite de leur études).

Les conséquences sont palpables dans l'ambiance d'atelier, pas de fêtes, pas de musique, pas de blagues, et des étudiants très stressés à vouloir la note maximale plus qu'à prendre du plaisir au travail. Ceci est certainement le point le plus négatif que j'ai relevé de cette école et sa méthode de travail. Mais bien heureusement, les techniques et le savoir emmagasinés au cours de ces deux semestres contrebalancent largement avec cette ambiance austère et studieuse. Et puis grâce à la magie des emplois du temps et cours à la carte, il est possible de libérer du temps pour vivre la dolce vita au maximum, peut-être est-elle là la grande beauté de cette année.
On en parle tout bientôt,
Sur ce, je retourne à mon Martini et mon apericena,
Salute !
Minh-Son L. Nguyen - révisé et complété par Diane de Beaunay
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